NEE SOUS Y
Parce que la maîtresse d’école a demandé à ses élèves de dresser leur arbre généalogique, Jeanne, à six ans, se retrouve désemparée. Ses racines s’arrêtent à… sa grand-mère maternelle et son père. « Tu es née sous Y », lui explique sa maman en lui désignant le dessin que représente son arbre généalogique. Jeanne, petite fille sensible, va construire son chemin à partir de cette révélation. Elle nous conduit dans ses rêves, ses histoires, ses réflexions. De l’enfance à l’adolescence, elle traverse sept phases dont l’une consiste à retrouver X, la famille inconnue de son père. Elle y adjoint le Z tatoué sur le bras de Rzomni, une romanichelle emprisonnée dans un camp de concentration français pendant la guerre. Du haut de ses dix-sept ans, Jeanne cherche alors à l’imposer comme appartenant désormais à sa famille. De rencontre en rencontre, au-delà de cette quête d’identité, elle s’initie à cette tolérance que chacun d’entre nous se doit d’acquérir pour accéder à l’humanité du cœur. Dans son univers, Jeanne nous permet de découvrir les mille et une facettes, tantôt joyeuses, parfois trébuchantes, mais toujours surprenantes, de l’adolescence. Une écriture naturelle, fraîche et délicate, qui nous rappelle certains parfums et états d’être oubliés de notre enfance.
Extrait
« Je suis née sous Y dans l’arrière-pays des marais salants. Je ne l’ai pas su tout de suite. Appliquée, du haut de mes six ans et demi, à dessiner mon premier arbre généalogique, j’ai soudain réalisé qu’au-delà de mon père et de ma mère, je n’avais aucune idée de ce que la maîtresse appelait « les ascendants et les descendants ». Les seules ramifications visibles de mon embryon d’arbre se limitaient à deux pauvres et maigres surgeons.
– Qu’est-ce que je mets, maman ?
Mes camarades de classe s’arc-boutaient à des baobabs proliférants qui affichaient, sans contestation, le luxuriant de leur histoire.
– Qu’est-ce que je mets, maman ?
L’astuce aurait été d’y greffer des grands-pères, grands-mères, oncles, tantes, cousins et cousines ; autant de signes extérieurs de richesse que la page aurait pu en contenir.
– Qu’est-ce que je mets, maman ? Un temps décontenancée par l’obstination de ma question, elle avait fini par abandonner son ouvrage pour venir s’asseoir près de moi. Un peu gênée, elle souriait.
– Au-dessus de mon nom, tu peux écrire celui de mémé Jeannette, ta grand-mère, Jeanne Grangeot.
– Ah oui, c’est vrai, Jeanne comme moi ! Puis, ayant achevé d’en dessiner les lettres :
– Et après ?
– Après ? Après ? Tu sais, c’est très particulier. Tiens, regarde… tu es née sous Y.
De son index, elle retraça doucement l’arbuste rudimentaire de mes origines.
– Tu es née sous Y et personne ne pourra jamais rien dire à ça. C’est très rare, un peu comme si, à ta naissance, tu avais été marquée par une étoile singulière. Une étoile qui te réserve quelque chose de fabuleux.
– C’est comme une histoire alors ? ajoutai-je.
– Oui, une belle histoire à écrire.
D’emblée, je l’ai crue. J’ai cru ma mère parce qu’elle avait, en me disant ça, une lumière dans les yeux. Je l’ai crue aussi parce que, soudain, elle m’enluminait d’une aura de mystère qui m’offrait l’envie d’avancer les bras ouverts pour capturer le monde. »
LES RIVIERES DE L'ESTRAN
Sur l’estran, cette portion de plage dénudée à marée basse, se jouent toutes les naissances du monde. Car entre la dernière vague échouée et la première qui s’esquisse à la reconquête de l’espace mouillé, dans cet imperceptible déclic, se niche un trésor. Marion en est persuadée. Petite déjà, elle l’avait frôlé. Lui revient, à l’âge adulte, cette même évidence qui la pousse à reprendre ses errances sur la grève.
Toutes les rivières mènent à ce fugitif instant. Sur l’estran qui se vide, Marion nous montre le chemin. Qu’importe s’il est éprouvant puisqu’elle trouve, au-delà de ses espérances, l’étincelle mystérieuse qui l’accompagnera désormais.
Le vent du large va se jouer de nous et nous prendre la main. Une chevelure d’algue, le bouillonnement de l’écume, une odeur d’huître, le ricanement d’une mouette, une flaque d’eau gorgée de soleil, tout est indice à saisir pour débusquer à notre tour l’instant magique de nos désirs.
Le grand théâtre de l’estran, ensemencé deux fois par jour par la mer, attend nos applaudissements. N’hésitons pas à y pénétrer.
Extrait
– .... – Tu as l’air bien sûre de toi ! – Oui, comme si soudain tout allait devenir évident. – Tu me plais, lance l’homme en riant. – Chut... Regarde, ajoute-t-elle, l’index pointé. C’est elle ! – Ah, elle existe donc vraiment, cette arche perdue. – Chut... Ne te moque pas ! Elle ébauche un drôle de sourire au paysage qui s’ouvre. La voiture pénètre dans le tableau, tourne sur la droite pour longer la côte. Elle s’escamote un instant et réapparaît pour s’arrêter un peu plus loin, en bordure de plage, devant une maison. L’insolite sourire est toujours là. L’attention de la jeune femme est capturée par cette bâtisse, la sienne. De l’avoir imaginée affaissée ne lui causait, de loin, aucun chagrin. Mais de la retrouver là, à son poste, pimpante et effrontée, lui force le respect. Pimpante, c’est le mot juste, songe-t-elle. Après tout, une maison, c’est orgueilleux. Ça s’affiche de quatre murs et d’un toit. Que vouloir de plus ? Elle rit. L’homme, assis près d’elle, est devenu silencieux comme s’il pouvait déjà se sentir de trop dans cette histoire. Nous l’appellerons l’homme en plus ; rôle qu’il n’a pas choisi, et dont seule l’héroïne, pour la bonne compréhension du lecteur que nous sommes, aura loisir de décider des gestes, des dialogues et des émotions. Leur arrivée fait surgir Étienne de la maison. La jeune femme le rejoint, légère, encore portée par son éclat de rire. – Entre, lui lance-t-il. Tu dois être fatiguée. La main tendue l’agrippe et la happe vers l’intérieur. – Tu verras, tout est pareil : la cuisine, la véranda et même ta chambre avec ces foutues poupées de collection qui se plaisent à attirer la poussière. Il rit à son tour. La jeune femme ne trouve rien à répondre. C’est vrai, pense-t-elle, tout a sans doute le goût d’avant. – Comment te sens-tu ? répète-t-il, pressant. J’ai si souvent imaginé cet instant de ton retour. Brusquement, il s’écarte et recule. Elle reste seule dans l’entrée. D’instinct, elle reconnaît cette obsession qu’il a toujours eue à vouloir capturer les images de loin ; se sentant prise au piège d’un scénario qu’il a dû sans doute se jouer et se rejouer maintes fois, elle décide de ressortir. Du haut des marches, elle fait signe à l’homme en plus de venir la rejoindre. Difficile pour cet étranger de deviner ce qui vient de se passer. Il hésite et tend la main. – Oui, bonjour. Je suis Étienne et voilà ma sœur, Marion. Voulez-vous boire quelque chose ? – Volontiers, répond l’homme en plus, décontenancé par cet accueil. – Alors, poursuit Étienne, venez dans la véranda. La vue y est imprenable. Docile, l’homme en plus le suit et s’assied. Il cherche quelque chose à dire. Inutile. Leurs pas résonnent déjà dans un autre espace. Étienne, dans la cuisine, s’affaire à sortir des glaçons. – Tu ne dis rien ? questionne-t-il. – J’ai la tête qui tourne un peu. Elle s’assied et caresse la nappe en plastique du plat de la main. – Toujours aussi usée, constate-t-elle, presque amusée. Elle soupire et s’étire : – Ah, l’été ici ! Le soleil et les balades du soir. Et la plage ! La plage… Je me souviens, tu m’y creusais d’immenses trous. Nous nous y réfugiions pour attendre la mer. À chaque fois c’était la même peur d’être engloutis. J’appelais cela jouer à la noyade. Personne ne s’est jamais noyé d’ailleurs. Et nos cris juste au moment de surgir ! Ni trop tôt, ni trop tard. Tu te souviens ? Comme si chaque marée montante pouvait mettre notre vie en danger. Quels drôles d’enfants nous étions ! Maman n’y voyait que du feu. La seule chose importante à ses yeux était la propreté de nos mains en passant à table, paumes et ongles. – Si je m’en rappelle ! l’interrompt Étienne. C’est comme si c’était hier ! Puis, après un silence : – Quel étrange goût pour la noyade ! Ce qui me ravit surtout, c’est que tu t’en souviennes avec tant de précision. Puis, s’asseyant près d’elle : – Vois-tu, Marion, pour moi, rien n’a vraiment changé. Quoique… ajoute-t-il hésitant, j’aurais sans doute un peu moins de ressort pour bondir du trou. – Que veux-tu dire ? – Rien, petite sœur, rien. Il la regarde longuement et ajoute : – Comme je suis heureux de te revoir ici, enfin, dans cette maison. Toutes ces années sans toi… Crois-tu que tout pourrait recommencer comme avant ? Nos jeux, nos rires et même nos frayeurs d’enfant ?
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